Film : quand on sacrifie ces héroïnes qu’on ne saurait écouter…

Le pire pêché en termes de storytelling ? Croire que l’on maîtrise un sujet qui ne nous concerne pas directement. Quand un film se plante, en 3 exemples.


[Avant propos et mise en garde]
Une fois n’est pas coutume, on ne va pas aller joyeusement découvrir certaines subtilités du storytelling à travers des conférences décontractées et des exemples de réalisation.

Aujourd’hui on laisse le beau de côté pour s’attaquer à ce qui devrait nous interpeller tout autant : comment parfois on se plante en beauté et quelles conséquences dramatiques cela peut engendrer.

Comme cette introduction le suggère, on va parler de choses fâcheuses.

Plus exactement, on va parler de ce qui se passe lorsque l’on prend le risque de s’exprimer à la place des concerné·e·s et sans réellement se documenter.

Pour éviter de commettre l’exacte erreur que je tiens à dénoncer ici, je vais m’appuyer sur le grand écran (qui, nous l’avons vu ensemble, est l’incarnation directe du storytelling dans sa forme la plus pure) et sur des films qui m’ont révoltée en tant que concernée.

Évidemment, nous n’avons pas la même sensibilité sur les sujets évoqués, néanmoins je tiens à préciser que l’on va parler de violences sexistes, sexuelles et conjugales.

Si ces sujets te mettent mal à l’aise, voire sont sources de souffrance, ne te force pas à lire cet article, je reprendrai prochainement les points essentiels des pratiques à éviter dans un article liste et il vaut mieux que ça reste un peu plus théorique plutôt que tu te blesses sur les exemples que je vais donner (et je parle en connaissance de cause).

Si tu décides de continuer mais qu’au terme de la lecture tu te sens mal, tu as besoin d’échanger, tu as besoin d’aide, sache que tu peux :

Et si tu as besoin de le lire là tout de suite : tu es une personne incroyable, qui mérite tout l’amour du monde et si tu en doutes, au milieu des aspects les plus anxiogènes de la vie, moi je t’aime d’un amour inconditionnel.

Bon, puisque tu es encore là, plongeons dans ce que le storytelling fait de plus sombre…

Soudain, ses traits se tirent, son visage se fait grave et son expression se mue en une grimace de dégoût et de douleur mêlés.

Devant des millions de téléspectateurs, Marina Foïs semble découvrir que le film dans lequel elle joue et dont elle est en train d’assurer la promotion comporte, au-delà du mauvais goût avéré du scénario, une scène qui pourrait qualifier un délit d’entrave à l’IVG.

Le film “Énorme” n’est pas encore sorti qu’il divise déjà : les uns invoquent l’humour qui doit rire de tout, les autres conspuent l’idée même qu’on ait pu produire un film avec une histoire aussi sordide en son coeur, entre les deux camps, les victimes souffrent.
Le film qui se voulait féministe et progressiste (et dénonciateur à travers un humour lourdaud) apparaît comme une violence inutile.

Les violences sexistes, sexuelles et conjugales sont l’un des sujets que nombre de contenus (films, séries, romans,…) abordent de manière catastrophique, pour faire dans l’euphémisme.

Pourquoi est-il si difficile d’écrire une bonne histoire, saisissante sans être stigmatisante, réaliste sans l’être trop face à un public peu voire pas préparé ?

Et bien majoritairement parce que nous voulons tellement avoir raison et surtout avoir la certitude que nous pouvons aider d’une façon ou d’une autre notre public que nous nous permettons d’oublier de questionner notre légitimité, nos connaissances, notre vision du problème.

Comme dans tous les domaines, l’ego et le besoin (mal placé) de reconnaissance viennent jouer ici un rôle crucial.

Aujourd’hui je te propose de découvrir 3 faces d’une pyramide dont cet ego malaisant est le socle, à travers 3 films plutôt bien récompensés et pourtant problématiques chacun à leur manière :

  • Elle, sorti en 2015, catégorisé Thriller/Drame et réalisé par Paul Verhoeven
  • Mal de pierres, sorti en 2016, catégorisé Romance/Drame et réalisé par Nicole Garcia
  • Bitch, sorti en 2017, catégorisé Comédie/Drame et réalisé par Marianna Palka

Il te reste une dernière opportunité de refuser de lire la suite.
Surtout si tu n’as pas vu les films que je vais “divulgâcher” (spoil) pour mon analyse.


On commence dans une cuisine avec une caméra braquée sur… un chat.

Et en fond sonore, qui n’apparaîtra à l’écran que par bribes au départ puis progressivement via des flash-back de l’héroïne, le viol dont elle est victime.

Cette introduction donne le ton sur une réalité du viol et va directement diviser le public entre les concerné·e·s et leurs allié·e·s d’un côté et le lambda de l’autre.

Pourquoi ?

Parce qu’il y a deux manières de concevoir cette scène.

La première consiste à lui trouver une imprégnation de comédie : on se focalise sur ce chat, témoin de la scène, occupé à toiser ce qu’il se passe sans agir.

Et la seconde consiste à réaliser que le chat est la métaphore de la dissociation de l’héroïne, qui va lui coller à la peau tout au long du film, jusqu’au meurtre par procuration.

Pardon, j’ai prévenu qu’on allait parler de trucs joyeux ou pas ?

“Elle” est un thriller dramatique et surtout un film dramatiquement réaliste, tellement que son réalisme s’est avéré contre-productif.

Le personnage campé par Isabelle Huppert semble froid à la majorité des gens.

Personne ou presque n’a trouvé crédible la scène où elle aborde enfin, avec des proches, le viol qu’elle a subi, parce qu’elle balance l’information lors d’un repas au restaurant, comme une banalité au beau milieu de la table et qu’elle passe à autre chose.

Personne n’a voulu croire au fait que l’homme avec qui elle couche régulièrement (et qui se trouve être le mari de sa meilleure amie) puisse aller jusqu’à traiter ça plus banalement encore et n’en avoir rien à carrer que ça affecte sa libido.

Et surtout… personne n’a voulu croire au fait qu’une fois son agresseur identifié, une fois l’identité de son violeur levée… elle danse avec le diable dans une relation intime extrêmement dangereuse et violente, encore une fois jusqu’au moment du meurtre par procuration.

Pourquoi ?

Parce que l’idée que cet ensemble soit vrai est ultra problématique pour les gens.

Admettre que c’est vrai, c’est admettre toutes les vérités du film : la femme du violeur qui sait et qui garde le silence, la victime qui répète volontairement le schéma qui aboutit inlassablement au même crime jusqu’à choisir de manipuler son fils pour qu’il tue son violeur dans une situation qu’il croira être une situation d’urgence mais qui n’est que l’énième répétition d’une scène qu’elle connaît et dont elle a besoin de se sortir sans plus savoir comment s’y prendre.

Admettre que c’est vrai, c’est admettre ce que les victimes dénoncent régulièrement : les violeurs ne sont pas des fous furieux qui coincent des gens dans des rues sombres mais des gens au visage sympathique, des proches, des soi-disant soutiens.

Et c’est admettre que le viol puisse être romantisé et fantasmé, par elle en tant que victime, par la compagne de son violeur qui va jusqu’à la remercier à la fin du rôle qu’elle aura tenu, par des tiers qui ne connaissent rien de son histoire mais qui projettent de la manière la plus abjecte qui soit un désir et une frustration extrêmement mal gérés.

Cet ensemble fait de ce film un presque documentaire.

Il est aussi réaliste que froid, seulement il est rare que l’on veuille ressortir d’un cinéma glacé·e à l’intérieur, sauf à aller voir, sciemment, un film d’horreur.

En règle générale, la plupart des storytellings se concluent sur une note positive, souvent pleine d’espoir, comme avec le changement d’appréhension de l’existence de l’héroïne dans Toni Erdmann ou alors sur une note en demi-teinte avec un questionnement profond, comme dans Blindness.

Ici, on rompt avec ce schéma; plutôt qu’une fin qui mette en avant la page qui se tourne et l’appel à la reconstruction, on ferme le propos sur le constat que oui, la femme du coupable savait, qu’elle était aussi victime à sa manière et finalement, comme si on hurlait “victime quoi qu’il arrive”, le film termine sur une ultime notion fataliste.

Une fin que l’on va retrouver sous une autre forme dans Mal de pierres, avec un distinguo pourtant important dans le rôle du film.

“Elle” est un film qui a pêché par un excès de réalisme; il est trop réaliste pour éduquer les gens, pour ne pas blesser les victimes, pour ne pas mettre en danger les personnes qui dissociaient encore, pour ne pas, finalement, nourrir un peu la culture du viol à coup de “ensuite c’est elle qui a cherché et finalement les femmes sont complices”.

Le film porte réellement son message féministe mais il est maladroit et sa diffusion au grand public alors qu’il ne peut être efficace qu’auprès d’une poignée a naturellement créé une controverse qui lui correspond.

Ceci étant dit, le fond reste que le film portait un message réaliste, à l’inverse complet de ce que le cinéma a pour moi fait de pire, j’ai donc nommé “Mal de pierres”.

Ce film est une douche froide et j’ai personnellement ressenti un malaise tellement intense à son visionnage que je suis restée vissée sur mon fauteuil au terme de la diffusion, prise de la même stupéfaction qui m’a un jour empêchée de me défendre contre un violeur, tellement le message est littéralement à crever.

J’avais prévenu pour le côté joyeux, non ?

L’histoire dans Mal de pierres est double.

Scénario 1 : une femme, mariée de force alors qu’elle aspirait à rencontrer l’amour avec un grand A et vivre de palpitantes aventures, se retrouve avec un “mal de pierres”, comprendre des calculs rénaux.

Elle est envoyée en cure où elle rencontre un beau lieutenant dont elle tombe éperdument amoureuse, avec qui elle aura une aventure d’un soir et dont elle aura un enfant, qu’elle élèvera tout en écrivant chaque jour des lettres à son amant d’une nuit, sans jamais le moindre retour de sa part.

Elle se résout à accepter cette existence bénie par le fait qu’elle ait eu un enfant de lui.

Fin.

Ouaaaaah, mais il est mignon ce film en fait, pourquoi tu râles Julie ?

Conseil : gardez un seau à proximité et lisez la suite en étant à jeun; c’est cadeau.

Scénario 2 et le vrai cette fois : une femme aspire à rencontrer l’amour avec un grand A à une époque (après guerrre) où on vous taxe d’hystérique pour moins que ça.

Du coup on la marie de force avec un homme qui compte bien lui rappeler qu’une femme ça sert surtout à procréer.

Pas de bol, elle développe des calculs rénaux et comme ça affecte les chances qu’elle puisse porter un enfant, il la force à entrer en cure.

Oui oui, il la force, avec la complicité du médecin; demandez à vos aïeux si on en avait quelque chose à foutre de la parole des femmes à l’époque.

Bref, pendant sa cure, elle rencontre un beau lieutenant et en tombe éperdument amoureuse et passe une nuit avec, où elle tombera enceinte.

Ses calculs rénaux s’étant résorbés, elle doit sortir de cure.

Elle explique au médecin que son mari est maltraitant, mais on s’en fout madame, t’es pas du bon genre pour décider de quoi que ce soit, t’es doté d’un utérus, tu sors et tu vas enfanter en obéissant à ton mari et en gardant le sourire !

Elle passe ensuite plus d’une décennie à écrire des lettres à son amant qui resteront sans réponse tandis qu’elle éduque son fils à l’image de son père qu’il ne connaît pas.

Et puis un jour, une mouche la pique et elle décide de profiter d’un récital de piano de son fils pour se pointer à l’adresse de son amant.

Et en fait… il n’a jamais reçu ses lettres car il est mort.

Parce qu’en fait pendant sa cure, il part et elle imagine qu’il revient et qu’ils ont une histoire ensemble alors qu’en réalité, il est parti puis décédé à l’hôpital où on l’a transféré et toute la suite de leur romance était une longue hallucination de sa part.

Et le mec qu’elle s’est tapé ?

Son mari, qui a profité de ladite hallucination qu’elle avait pour la violer, ben oui, on va pas louper une occasion quand même.

Et les lettres ?

Toutes ont été retournées, il les a juste soigneusement collectées sans qu’elle n’en sache jamais rien, enfin jusqu’au jour où la réalité vient frapper à la porte.

A ce stade de découverte de l’histoire, elle perd pied et on la sent à deux petits doigts du suicide.

Et si le film s’était terminé là, sur cette femme qui danse une valse dangereuse avec l’interrogation de poursuivre ou pas, ça n’aurait pas encore été un trop mauvais film.

Mais malheureusement il n’en est rien.

A la place, la scène finale est la suivante : elle est rentrée chez elle, son mari imposé et violeur lui a bâti une maison et l’a emmenée en voyage dans la campagne où il a grandi et dans un grand moment d’absence totale d’émotion, le film se ferme sur elle lui disant mer…ci.

Merci.

Pas merde, comme ça aurait presque fait sens.

Merci.

En moins de 4 secondes de film, tout ce qui pouvait être de l’ordre du féminisme maladroit mais dénonciateur devient officiellement une apologie de la culture du viol : la femme parfaite subit qu’on la maria de force, qu’on l’enferma de force, qu’on la viola pour en obtenir un enfant, qu’on lui fit croire qu’elle n’était pas assez bien pour que le seul homme qu’elle aima réellement ne réponde à ses courrier et à la fin, elle remercie l’homme responsable de son sort.

Je n’ai pas encore trouvé un film qui me dise encore mieux à quel point ce que j’avais vécu était en fait une norme à accepter.

Et je n’avais encore jamais vu un film avec un message aussi nauséabond être autant applaudi.

Et on aboutit à un paradoxe extrêmement intéressant pour ce qu’il nous dit de la nature humaine : on préfère applaudir un film dont le message est sinistre parce qu’il verse dans une violence banalisée, romancée, normalisée que celui qui dénonce cette même violence insidieuse… de manière trop réaliste.

Alors comment est-il possible de manquer autant sa cible ?

Simplement parce qu’on préfère vendre une histoire qui va faire beaucoup parler et donc faire beaucoup de chiffres plutôt qu’une histoire qui va réconforter, parce qu’on ne sait pas les retombées concrètes.

On est typiquement dans un storytelling du consumérisme absolu : on ne s’attache pas du tout à l’image que l’on renvoie durablement, on est dans l’immédiat, à l’instant T, combien je peux faire en chiffre.

Et surtout de ce qui nous met à l’aise et met, en société patriarcale, le masculinisme sur un piédestal.

Et c’est là une erreur fondamentale; on l’a vu, encore une fois, quand on parlait des différences entre storytelling, copywriting et ux-writing, le storytelling sur grand écran a pour but… de vendre indirectement; on a vu les exemples avec la montre ou la voiture de James Bond pour faire presque caricatural mais là, pour ces films là, qu’est-ce qu’on prétend vendre ?

Lorsqu’un storytelling se veut militant, a priori on vend une morale.

Dans “Elle”, la morale c’est une sorte de fatalité à la Dostoïesky, toustes coupables, circulez, y’a rien à voir.

Dans “Mal de pierres”, la morale c’est que c’est normal que les maris violents s’en sortent et que cette fatalité doit être acceptée par les épouses qui devront garder le sourire et remercier.

Question : pensez-vous que l’on peut faire pire ?

Spoiler alert : OUI

On peut encore aller plus loin en invisibilisant totalement la victime !

C’est l’invraisemblable et incroyable et horrible et terrifiante réalité du film “Bitch”.

Comme dans “Elle”, “Bitch” s’ouvre sur une scène douloureuse avec un animal et une forme dissociative.

Elle diffère cependant en ceci qu’on voit l’acte, à savoir une tentative de suicide par pendaison.

Je te rappelle que tu n’es vraiment pas obligé·e de lire cet article jusqu’au bout, surtout que mine de rien, Bitch a vraiment un potentiel encore plus éprouvant que ce qu’on a déjà évoqué.

Dans le jardin, un berger allemand semble observer la scène de loin.

Dans une étrange succession de transitions et de tranches de vie, on se retrouve à découvrir l’énorme charge mentale qui pèse sur l’héroïne.

4 enfants, un mari absent qui la trompe, stéréotype du masculiniste qui croit tellement que le monde lui appartient qu’il va jusqu’à réclamer à son patron qu’il ne licencie pas la nana qu’il a prise pour maîtresse alors que son patron est clairement au bord du suicide face à la gestion d’un plan social…

On a tout le loisir d’apprécier le début de la journée de trop, où elle doit encore tout gérer et où on sent qu’elle a atteint le point de non retour et que la dernière marque d’indifférence de la part de son mari va la précipiter dans l’abîme.

Sauf que l’abîme a un visage très particulier.

Elle disparaît soudainement et tout le monde croit qu’elle s’est barrée, ce qui aurait été un scénario très plausible.

A la place, on part sur un phénomène de dissociation-déshumanisation-assimilation où pour gérer ce qui la dépasse, elle se met à intégrer qu’elle est… un chien.

Oui tu as bien lu.

Là où dans “Elle” l’héroïne déteste ce chat qui incarne la partie stupéfiée d’elle-même incapable de réagir face à son agresseur, à qui elle reproche de ne pas avoir au moins essayé de le griffer, dans “Bitch” l’héroïne embrasse l’identité de ce chien, qui fait sa vie à l’extérieur et qui peut aboyer, mordre, se défendre tant bien que mal.

Et ça pourrait être un super film… si elle en restait l’héroïne.

A la place, boum, changement d’angle, on part sur la réaction du mari.

Au départ, ça peut sembler une bonne approche.

Lorsqu’elle disparaît et que personne ne sait encore où elle est, il se retrouve à devoir gérer ce qu’elle fait habituellement, on découvre qu’il n’a aucune idée de là où sont scolarisés leurs enfants, qu’il ne sait pas qu’il doit fournir un repas à sa cadette, bref, on a une belle illustration de la charge mentale que de nombreuses féministes exhortent à réaliser et à dénoncer.

Et puis… on reste dans une société patriarcale.

Donc le mari va choisir de garder “sa chienne de femme” (je reprends l’expression dégueulasse qui doit justifier que le titre soit “Bitch” parce que sinon je ne sais pas d’où il sort) enfermée à la cave.

Sa belle-soeur va débarquer, découvrir le désastre qu’est la vie de cette famille amputée de son membre fonctionnel, avec les enfants qui réalisent que la mère chieuse était plus responsable de leur bien-être que leur père faussement cool et carrément incapable; elle va tenter de les sauver, sans succès.

Désespérée, elle va prévenir les forces de l’ordre dans le but d’obtenir l’hospitalisation de sa soeur mais devine quoi, il faut l’aval du mari qui refuse parce que bon, il a une image à préserver quand même.

On passe la scène où il se débarrasse, de honte, de son alliance dans la douche pour passer à un dialogue surréaliste avec sa belle-soeur dans la cuisine.

Alors qu’elle pleure l’état de sa soeur, il lui demande si cette dernière lui a déjà raconté l’histoire de leur rencontre.

Et il lui dit quelque chose comme “tout ça ne serait pas arrivé si ça avait été plus petit”, elle pense qu’il parle de leur rythme de vie ou de leur univers et il parle… ben oui, de son sexe voyons !

S’il avait eu un pénis moins gros, tout ceci ne serait pas arrivé.

Voilà, grand moment de déréalisation absurde, tellement que là c’est la belle-soeur qui commence à se demander ce qu’elle fout là alors que les gosses commencent aussi à parler de suicide.

Et la femme ?

Ah ben on s’en fout toujours, on sait qu’elle est dans la cave, on l’entend aboyer, voilà voilà.

C’est bon, on a touché le fond ?

Que nenni !

Garde ta pelle Marcel, on va chercher du pétrole !

Toute cette histoire invraisemblable finit par passer devant un juge parce que les parents de la nana décident de demander son retour chez eux pour pouvoir la faire prendre en charge décemment.

Il est donc convenu qu’elle va retourner chez eux, que lui va se botter le cul et s’occuper des enfants et qu’une fois de temps en temps, il y aura un échange de garde (la femme revient chez lui et les enfants vont chez leurs grands parents).

On voit un brin d’espoir avec cet homme qui soudain se prend en main, quitte leur maison sordide pour un appart lumineux, installe des affaires pour elle, ce qui veut dire qu’il lui accorde enfin un peu d’importance.

Et là le film pourrait s’arrêter sur un truc potable.

Mais j’ai dit qu’on voulait du pétrole donc permets moi d’introduire la scène la plus dégueulassement déshumanisante du monde.

Il emmène sa femme (toujours dissociative-assimilative) dans un parc… pour chiens…

Oui oui, tu as bien lu.

Et oui, la scène ressemble vraiment à ce que tu peux imaginer de plus ridicule et invraisemblable et déshumanisant.

Et puis… là… la lumière bénit l’homme qui se met à se comporter comme sa femme et qui a une illumination sur le sens de la vie et qui – non content d’avoir retrouvé son alliance grâce à une plombière et en dépit du fait qu’il aurait plus de chance de gagner consécutivement 7 fois à l’euro million – va entraîner un effet papillon qui fait qu’elle va soudainement décider d’aller prendre une douche et avoir une énième crise psychédélique qui va laisser entrevoir la possibilité qu’elle aille mieux.

Et ils vécurent heureux et eurent… ah non, ils avaient déjà plein d’enfants.

Voilà.

C’est un happy ending, ne te méprends pas.

Quand on parle féminisme, les gens ne se figurent pas toujours ce que ça fait quand un homme cisgenre hétéro monopolise la parole, maintenant si la question se pose, je pense qu’il suffit de diffuser ce film en fait.

Parce que c’est à ça qu’il se résume : on a une femme qui subit tellement la charge mentale qu’elle tente de mettre fin à ses jours et se retrouve, à la place, à se déshumaniser complètement et le film arrive à donner le rôle principal et surtout le rôle de victime au mari alors qu’il est, factuellement, le coupable de l’histoire.

Coupable de la charge qu’elle supportait, littéralement coupable de maltraitances et qui offre une fausse image d’évolution positive alors que la scène à vomir dans le parc est exactement la preuve qu’il la perçoit tout juste comme un être vivant.

Et la phrase la plus incroyablement horrible du film, c’est quand elle a sa dernière crise et qu’elle alterne entre comportement canin et comportement humain et qu’il lui dit “soit ce que tu as besoin d’être, je le comprends”.

Il lui demande d’être la victime qu’elle a besoin d’être, de la manière qui lui sera le plus confortable au lieu de reconnaître son propre statut de coupable et changer.

Alors dans les faits, on peut considérer qu’il n’est pas pire que l’entourage de l’héroïne dans “Elle” et toujours plus potable que le mari dans “Mal de pierres”.

Seulement le problème de ce film c’est la violence douce, presque imperceptible.

Cette violence est tellement ordinaire qu’elle ne choque plus.

Alors comment on fait ?

Peut-on encore dénoncer avec simplicité les violences ordinaires ou doit-on admettre qu’elles écrasent toute forme de storytelling sous leur poids ?

Après toute la pesante tragédie de ce regard sur ce qu’il se passe lorsque l’on ne consulte pas les concerné·e·s, je vais quand même te mettre un peu de baume au coeur en disant que oui, je crois encore en une forme travaillée de storytelling qui permette d’accomplir ça.

Et pour en parler, je cède bien volontiers la place à Morgann, de la chaîne Youtube “Morgann regarde des films” qui nous parle de “Chronologie du Hasard” et d’une scène qui donne une piste concrète de traitement de ce sujet délicat.

Bonne découverte et rappelons-nous : des histoires pour vendre, oui, mais avec et pour les concerné·e·s !

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