[2/365] Le temps presse…

Une petite plongée dans une nouvelle policière pour ce nouveau texte du défi « 1 jour, 1 produit, 1 histoire » !

Avant propos :
Ce texte vous est proposé dans le cadre du défi « 1 jour, 1 produit, 1 histoire » que je me suis fixé pour démontrer que l’on peut écrire sur des produits dont on ne sait pas grand chose, tout au long de l’année.
Vous pouvez me suggérer des produits pour les prochaines écritures, en commentaire ou via les réseaux sociaux.

L’histoire précédente est disponible ici et l’ensemble de mes défis par là.


Nathanaël avait le regard perdu dans sa tasse de café.
De loin, on aurait pu croire qu’il cherchait des réponses dans le breuvage qui refroidissait entre ses mains, comme d’autres prétendent les trouver dans le marc de café.

Cette histoire malmenait son esprit.
Un crime, somme toute simple, un empoisonnement, la victime retrouvée par sa mère, son frère et son cousin et trois mots délivrés dans son dernier soupir, ne faisant pour l’instant aucun sens.
Il avait beau tourné, encore et encore, l’histoire dans sa tête, impossible de trouver le début du commencement d’une explication, encore moins d’une piste solide.

Alors il restait là, figé, assis sur ce fauteuil de velours, un café dans les mains.
Il se redressa brusquement lorsqu’un officier frappa à la porte du salon où il était installé.

« Inspecteur, ils sont prêts, ils n’attendent plus que vous.
– Bien, dites leur que j’arrive.
– Oui, Monsieur.
– Ah et Brévo…
– Oui, Inspecteur ?
– Est-ce que quelqu’un a demandé à partir depuis qu’on les a installé dans la grande salle ?
– Non, Monsieur. Cependant…
– Cependant ?
– Plusieurs personnes ont demandé à pouvoir récupérer des affaires dans la chambre.
– Quelles personnes et quelles affaires, exactement ?
– Madame sa mère a demandé si elle pouvait récupérer la photographie qu’il tenait entre ses mains.
– Celle où il apparaissait aux côtés de Lord Vespart ?
– Celle-là même.
– Bien et qui et quoi d’autre ?
– Son frère et son cousin ont respectivement demandé à récupérer sa chevalière et sa montre à gousset, au motif qu’il s’agit de pièces en argent de haute qualité remises par leurs soins à la victime et qui devraient, de leur avis, rester dans la famille.
– Je vois… »

Il se leva d’un bond et rejoignit rapidement l’officier sur le pas de la porte du salon.

« Allons-y, il est temps de mettre un terme à toute cette mascarade.
– Un terme ? Vous voulez dire que vous savez qui a commis ce crime ?
– Évidemment, Brévo. Et vous aussi. Faites fonctionner votre matière grise, repensez à ce que vous venez juste de me dire ! »

Il le fixait intensément, avec l’ardeur qui l’habitait chaque fois qu’il dénouait une intrigue.
Son regard bleu clair, d’autant plus saisissant avec sa peau mate, semblait à présent chercher à donner le déclic mental qui faisait pour l’instant défaut à l’officier.

Il rompit le contact visuel en plissant les yeux dans un sourire.

« Allons, Brévo, ne faisons pas attendre ces messieurs-dames plus longtemps.
Et ne torturez pas davantage votre esprit, tout va vous être révélé.
Rejoignez-nous avec les trois objets demandés, s’il vous plaît. »

L’officier opina et quitta le salon, puis lui-même se dirigea vers la salle à manger.
Autour de la table, une dizaine de convives, les yeux toujours gonflés de chagrin pour la plupart, attendaient patiemment.
La mère brisa le silence.

« Inspecteur, allons-nous devoir patienter ici encore longtemps ? Je voudrais pouvoir préparer les funérailles de mon fils.
– Vous serez bientôt libres de faire votre deuil et de préparer tout ce qui doit l’être, sitôt que j’aurais exposé le meurtrier de votre fils. »

La tension était instantanément montée d’un cran.
Du coin de l’œil, il observa le reflet de l’officier ressortant de la pièce où avait été commis le crime, dans la porte vitrée d’un vieux bahut.

« Vous prétendez que vous savez qui a commis le meurtre ?
– Je ne prétends rien, j’affirme. Et je vais vous le démontrer grâce au fabuleux travail de collecte de l’officier Brévo, qui a bien voulu accéder à votre requête. »

Il s’empara des objets récupérés par Brévo et les disposa sur la table, prenant soin de poser la photographie face cachée.

« Avant de vous dire qui a commis ce crime, je vous invite à repenser ce qu’il s’est passé, du moment où Madame Lanciana a découvert son fils agonisant, à l’arrivée de la police.
– C’est facile, strictement rien, nous vous avons appelé aussitôt et nous n’avons touché à rien.
– Vous prétendez qu’il ne s’est rien passé après la découverte de votre cousin agonisant ?
– Je ne prétends rien, j’affirme.
– Vous ironisez, mais pourtant vous vous trompez ; il s’est a minima passé qu’il a déclaré quelque chose à votre tante.
– Oui, pardon, il a dit que le temps pressait, en même temps, il était à l’agonie et espérait sans doute que nous ayons une solution pour empêcher son trépas.
– Êtes-vous sûr que c’est ce qu’il a dit ?
– Évidemment, Luc le confirmera également, nous avons tous entendu la même chose.
– Alors c’est nécessairement vrai, j’imagine. Admettons, passons donc à la raison pour laquelle vous vouliez récupérer ces trois objets.
– La chevalière appartenait à notre père, Marc étant décédé, il est normal qu’elle me revienne et j’aimerais qu’elle ne soit pas abîmée entre temps.
– Je vois. Et pour la montre ?
– Elle appartenait aussi à Monsieur Lanciana. Mon oncle aurait voulu que ses fils l’aient, c’est pour cela que je l’ai donné à Marc lorsque je l’ai trouvée, néanmoins le voilà mort et Luc n’en veut pas, alors je tenais à la récupérer pour qu’elle reste dans la famille.
– Bien. J’épargnerai à Madame l’embarras de vous expliquer pourquoi elle voulait récupérer la photographie qu’il tenait dans sa main. Je peux seulement vous dire que l’on voit dessus Marc et son père.
– Et ensuite, Luc est sorti de la pièce pour appeler la police, je ne pouvais rien faire, j’aurais voulu mourir à la place de mon fils, vous savez.
– Oui, je le devine, Madame, n’importe quel parent préférerait donner sa vie que voir mourir son enfant, en particulier de la mort lente et inarrêtable causée par un poison.
– Et puis nous avons tous été interrogés, mais quelque chose sonnait faux.
– En effet, Madame.
– Le temps presse…
– Oui, Madame ? »

Elle le regarda sans le regarder vraiment, comme si son esprit luttait pour reconstituer les événements.
Puis son visage ce figea.
Elle eût un mouvement de recul, que les autres prirent pour un début de malaise, ce dont Nathanaël profita pour l’écarter des deux jeunes qui l’entouraient toujours.

« Le temps presse. Quelle étrange déclaration, n’est-ce pas ? Lorsque l’on s’apprête à mourir assassiné, on cherche habituellement à dénoncer son assassin, sauf si on sait que l’on peut être sauvé, qu’un antidote existe.
– Vous prétendez que l’un de nous possédait un antidote et ne lui a pas donné ?
– Non, j’affirme que ce ne sont pas les mots que votre cousin a eus.
– J’ai très clairement entendu…
– Les deux tiers de la phrase, qui vous ont induit en erreur.
– Pardon ?
– Mon.
– Ma tante ?
– C’était mon ! Mon temps presse, pas le temps presse. »

L’inspecteur acquiesça. Il s’empara de la montre à gousset et l’exposa aux yeux de tous.

« Non, vous faites erreur, cette montre ne contient rien qu’une gravure qu’avait fait réalisé son père, rien de plus.
– En effet. Si j’appuie ici, avec le pouce, comme ceci, le clapet s’ouvre et il n’apparaît que quelques mots, de la part de Monsieur Lanciana.
– Vous voyez ? Rien de plus. Vous nous faites perdre notre temps.
– Perdre du temps, du temps compté, qui presse… Et si nous le remontions ?
Il y a quarante ans, Monsieur votre père, Lord Vespart, a eu une aventure.
C’était bref, sans doute dénué de sentiment pour lui qui est trop souvent décrit comme un homme à femmes.
Ce que ni lui, ni la femme qu’il avait séduite, n’avaient prévu à l’époque, c’est que son frère rencontre sa conquête quelques mois plus tard et en tombe follement amoureux, au point de s’empresser de l’épouser et de reconnaître l’enfant pour que l’honneur de cette dernière ne soit pas bafoué.
Cette union précipitée revêt une autre singularité : plutôt que Madame prenne le nom de Monsieur, c’est l’inverse qui s’est produit. Il devint Monsieur Lanciana.
Sans doute lui avez-vous dit, Madame, combien ce patronyme lui ouvrirait des portes à l’étranger, au bénéfice de ses affaires.
Mais je doute qu’il ait su un jour que c’était parce que porter le nom de Vespart vous aurait été insupportable ; partager le nom de l’homme qui vous avait mise enceinte et avait fui comme un lâche n’était pas dans vos intentions.
– Vous prétendez que notre oncle était en fait le père de Marc ?
– Votre frère était à la fois votre demi-frère et votre cousin, Luc ; tout comme il était le demi-frère de James.
– C’est impossible.
– Vous l’ignoriez, James ?
– En effet, je n’en savais rien. Mais tout fait à présent sens. C’est vous qui l’avez tué, n’est-ce pas, ma tante ? Il avait trouvé la photo où on le voyait aux côtés de mon père et d’un coup, il a compris et ça vous a insupporté !
– Il savait depuis fort longtemps la vérité, ne soyez pas stupide. Et ça n’aurait jamais été un motif pour le tuer, qu’est-ce que ça aurait changé ? Était-ce sa faute ? Pas que je sache.
– Et puis, où Madame Lanciana aurait-elle caché le poison ?
– Sur la photographie, il l’aura prise dans les mains et aura réalisé trop tard qu’elle était enduite de poison.
– Et vous pensez que j’aurais manipulé la photographie à mains nues si c’était le cas ? Non, Marc Lanciana a bel et bien été empoissonné, mais le poison avait été placé dans sa boisson, des irritations ont été constatées.
– Alors il est impossible de savoir qui l’a tué et vous nous menez en bateau.
– Comment se porte Monsieur Vespart ? J’ai cru comprendre qu’il était lui-même souffrant ?
– Il est toujours à l’hôpital, le docteur soupçonne une faiblesse cardiaque, il a été trouvé à temps pour éviter que son cœur ne s’arrête. Mais il n’a rien à voir dans cette histoire, Marc peut bien être son fils, cela ne change rien, il ne pourrait l’avoir assassiné pour ça, il ne simule pas son hospitalisation, vous savez !
– Je n’ai rien dit de tel, je m’interroge seulement sur ce qui se passerait s’il venait à décéder. Son immense fortune vous reviendrait, n’est-ce pas ?
– En effet, mais mon père est toujours bien en vivant.
– Pourtant, s’il était décédé et compte tenu de ce que nous avons appris, Marc aurait été l’héritier principal à votre place.
– Oui, bien sûr, il était mon ainé, il aurait légitimement hérité de l’entreprise familiale et de la moitié de sa fortune.
– Cette idée vous enrageait, n’est-ce pas ?
– Comment quelque chose dont j’ignorais tout aurait pu m’enrager ?
– Vous disiez plus tôt vouloir récupérer cette montre parce qu’elle est précieuse, sentimentalement et par son matériau, cependant, contrairement à ce que vous dites et contrairement à la chevalière que Luc souhaitait récupérer, elle n’est pas en argent, mais en acier.
– C’est une erreur de ma part alors, mais ça ne change rien.
– Au contraire, cela change tout. Chaque petit détail compte. De l’acier plutôt que de l’argent. L’histoire de la photo…
– Il a vu la photo et il aura compris, il y a quoi de suspect là-dedans ?! »

Il retourna le cliché, face visible.
On pouvait y voir Lord Vespart, relativement souriant, tenant dans ses bras un bébé.

« Vous m’expliquez comment il aurait pu comprendre alors que sur la photographie, on voit votre père tenant dans ses bras un bébé ? N’importe qui ne sachant rien de l’histoire aurait cru que c’était vous.
– Non, il a su que c’était lui parce que sa mère lui avait dit.
– il ignorait l’existence de la photographie avant que vous ne la lui donniez. C’est la seule façon pour expliquer mon.
– Votre ?
– Mon temps presse. Pas LE temps presse, MON temps presse.
– Vous recommencez avec ça, vous divaguez ma parole ! Vous avez déjà ouvert cette montre devant nous et observé qu’elle ne contenait rien.
– Vraiment ? Ai-je fait cela ? »

Tous les yeux étaient tournés vers eux, se posant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre.
Luc brisa le silence.

« Qu’as-tu fait, James ? Avoue-le et peut-être que nous trouverons un reste de force pour te pardonner.
– Me pardonner ? Tu t’y mets aussi ! Je n’ai rien fait !
– Vous avez empoisonné votre frère, dont vous aviez découvert qui il était parce que vous aviez surpris votre père avec cette photographie entre les mains. Vous l’avez fait après avoir donné le même poison à votre propre père, à une dose moins importante pour que sa santé décline plus lentement. Et vous pensiez ainsi hériter de l’ensemble de ses possessions.
– Je ne savais pas que c’était mon frère.
– Alors je ne trouverai pas vos empreintes sur cette photo et vous n’êtes pas celui qui la lui a apportée, ce jour, souriant pour lui faire croire que vous accueillez la nouvelle comme une bonne surprise ?
– Absolument pas.
– Et vous ne l’avez pas empoisonné avec une substance que vous aviez cachée dans sa montre sans qu’il ne puisse avoir la force de l’ouvrir pour la révéler ?
– Mais la montre ne contient rien vous l’avez vu vous-même en l’ouvrant et… »

Il s’interrompit.
L’inspecteur avait relevé la main, saisi la montre non plus dans sa paume, mais du bout des doigts et avait appuyé de nouveau sur le bouton qui ouvrait le clapet.
Et les deux faces de la montre s’étaient ouvertes, laissant tomber un minuscule sachet.

« Mon temps presse.
Si l’on tient la montre à gousset fermement dans sa main, il est impossible d’ouvrir le second compartiment, vous le saviez parce que vous avez eu cette montre en main auparavant, lorsque se pensant, à juste titre, à l’article de la mort, votre père vous a demandé de la remettre à Marc, vous révélant qu’il était votre frère.
Vous l’avez rejoint dans sa chambre, une tasse de thé dans une main et une photographie dans l’autre, pour lui annoncer que vous aviez découvert que vous étiez frères et que cela vous enchantait.
Alors qu’il tenait la photographie entre ses mains, vous avez fait démonstration de l’ouverture de la montre, libérant un peu de poison dans sa tasse, ce qu’il n’a pas réalisé immédiatement.
C’est quand le poison a commencé à faire son œuvre qu’il a compris ce que vous aviez fait.
Il avait la montre, que vous veniez de lui offrir, dans les mains et il l’a ouverte puis a réalisé que vous n’aviez pas vu que le sachet, soluble dans l’eau, n’était pas tombé, seulement la poudre qu’il contenait, alors il l’a refermée et serrée contre lui, prétendant chérir précieusement votre cadeau.
Il l’a tenue ainsi jusqu’à ce que son état soit assez dégradé pour que vous puissiez sortir de la pièce avec la certitude qu’il allait mourir ; il vous suffirait de récupérer la montre pour faire disparaître toute preuve.
Vous êtes alors retourné dans les cuisines pour demander ce qui était préparé pour le dîner, entrainant le réflexe de Madame votre tante d’aller chercher son fils ; vous l’avez accompagnée, au cas où il serait encore en vie.
Et dans son dernier souffle, il vous a dénoncé. Son temps pressait, non parce qu’il fallait d’urgence lui trouver un antidote, mais bien parce que le second clapet pressait le poison contre la montre. »

James fut arrêté, jugé et reconnu coupable de deux homicides, l’empoisonnement de son père étant trop avancé pour être combattu.
L’ironie voulut que Monsieur Vespart ait rempli en secret un testament qui léguait toute sa fortune à celle qui avait dû élever seule leur fils par sa faute.


Et voilà, j’espère que cette petite histoire vous aura plu.

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A demain pour un nouveau récit !
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